Mère Saint-Maur et l'exil en Russie
Madeleine Renée Miel, en religion Sœur Saint Maur, prononce ses vœux au Calvaire de Paris en 1789, la veille du jour de la parution du décret défendant aux religieuses de recevoir de nouveaux sujets.
De 1798 à 1807, fuyant les révolutionnaires, elle traverse l’Europe en rejoignant tout d’abord la communauté trappiste de Dom Augustin de Lestrange à la Valsainte en Suisse. Avec les frères et quelques moniales cisterciennes, elle navigue sur le Danube en bateau, arrive à Vienne en Autriche, et est entraînée jusqu’en Russie, dans l’espoir d’y trouver un monastère où se fixer mais au bout de quelques mois passés à Orcha, le tsar Nicolas Ier leur intime l’ordre de quitter la Russie, la princesse de Condé ayant quitté le convoi des moines voyageurs ! Dans son périple du retour, elle s’arrête chez les Bénédictines de Thorn (Pologne) où elle espère rester, si la France continue à poursuivre les religieux. Elle y est encore pendant les guerres napoléoniennes et doit faire face aux soldats français devenus parfois violents à cause de la famine.
« Un jour que nous n’avions pu leur donner pour souper que cette soupe claire et quelques pommes de terre, ils s’aigrirent si fort, qu’ils se résolurent pendant la nuit d’entrer par force dans la maison, pour chercher, disaient-ils, de la viande. (…) » Alors que les soldats frappent violemment à la porte, sœur Saint Maur a une idée : « Tout à coup, je pensai à Saint Jacques qui était le patron de notre église, et feignant d’appeler quelqu’un, je me mis à crier de toutes mes forces : ‘Jacques, Jacques, va-t-en chez le commandant chercher la garde…ne passe pas par là…sors par la porte de derrière…va bien vite…dépêche-toi, car ils vont enfoncer la porte.’ Ils plaisantèrent d’abord de m’entendre ainsi parler, et disaient en riant : ‘Oui, oui, Jacques, Jacques ; va-t-en voir s’ils viennent’, et frappaient toujours ; mais au bout d’un instant, ils craignirent qu’effectivement j’eusse envoyé quelqu’un chez le commandant, s’en retournèrent à petit bruit dans leur quartier, et se couchèrent comme si de rien n’était. Nous allâmes aussi nous coucher, la tourière et moi, après avoir bien ri de l’aventure. »
Sœur Saint Maur revient finalement en France en 1807 avec une épouse de militaire et retrouve ses sœurs Bénédictines qui avaient pu reprendre une vie commune dans un appartement près de Saint Sulpice à Paris. Nous avons dans nos archives la relation de son voyage, témoignage bouleversant et très pittoresque de la fidélité d’une sœur à ses vœux religieux et au Christ pour qui elle est prête à traverser l’Europe et à vivre sa vie monastique dans des conditions parfois très dures.